Esperanza page 3, LIVRE I et début LIVRE II

CHAPITRE 16

Monsieur de Mirles, dans le cimetière des sourires

 

L’arrivée est violente, le lieu est morne. Je m’accroche au bras de Céleste. Nous sommes dans une ruelle étroite où le silence pèse lourd. Quand je dis nous, je veux dire, notre esprit, et par étroite, j’entends par rapport aux lieux souvent rencontrés à Esperanza.

Nous filons vite, comme des voleuses, vers un endroit plus sombre encore.

Les Soleils nomment ce lieu, le Cimetière des Sourires. C’est là que vivent tout ceux qui refusent de vivre selon les lois instaurées à Esperanza. Tous ceux qui souhaitent continuer comme avant, avec l’argent et ses dominations, avec la souffrance et la peur et avec le jugement.

*Ne les juge pas à mal, Me souffle Céleste par la pensée, Ils ont seulement peur du changement, ne sont pas prêts à sauter le pas, mais nous ne les abandonnons pas, au contraire. Nous accourons au moindre appel au secours, aussi discret soit il ! Et ils nous en sont reconnaissants.

Je n’ai rien à répondre à cela.

*Viens ! Annonce-t-elle en me tenant le bras, Il vaut mieux être esprit quand nous venons ici pour éviter que nos corps soient malmenés. Suis-moi !

Je n’ai pas le temps de demander par qui ou quoi ils seraient malmenés, nous voilà engagées dans un passage qui nous fait déboucher dans une impasse. Des petites maisons alignées, des fenêtres fermées, des stores souvent baissés, comme pour se protéger d’un éventuel danger. Des ombres, à la fenêtre de certaines maisons, cachées par des rideaux.    

Je n’ai pas envie de rigoler. Ils sont là. Ces badauds, nous espionnent, nous surveillent. Je sens un poids immense peser sur mes épaules, je sens la peur et l’impuissance et surtout la violence, comme une arme protectrice, un bouclier.

Nous avançons sans bousculade, sans nous presser. Ici le temps s’est arrêté pour nous.

*J’ai reçu un appel, Songe Céleste à mon intention, Un homme m’appelle souvent par la pensée pour se faire soigner. D’après lui la première fois je passais ici par hasard ! Comme si c’était possible ! Il voudrait me faire croire que ce n’est pas lui qui m’appelle à chaque fois. Qu’il n’est pas faible au point de demander de l’aide, mais je sais que c’est lui. La pensée ne ment pas. Et quelques éléments, réflexions de sa part, montrent qu’il le sait comme moi.

Au bout de cette ruelle lugubre, un grand pavillon blanc.

Je suis tendue de bas en haut quand j’aperçois la maison blanche au bout de l’impasse. Comment est-il possible de vivre ainsi enfermé ?

Nous avançons jusqu’au portail. Céleste active une sonnette. Le portillon résiste et grince, comme s’il refusait de nous laisser passer. Moi je l’écouterais bien, mais Céleste me tire par le bras en riant discrètement, et nous entrons dans cet enclos.

Nous montons quelques marches et attendons sur le perron. Mon cœur cogne sourdement.

Je remarque les murs effrités, les vitres sales, le rebord poussiéreux des fenêtres. Je voudrais m’en aller, m’échapper dans les grands espaces qui bordent Esperanza. Respirer l’air des plaines, si pur, m’en aller.

Céleste me tient le bras pour attirer mon attention sur un jeune homme qui nous fait signe d’entrer. Nous le suivons à l’intérieur, et s’en suit un rituel qui me paraît rodé.

Le jeune homme ouvre les fenêtres, et allume un bâton d’encens sur une table basse près de l’entrée. Il va ensuite fermer la porte à clé après avoir jeté un coup d’œil furtif, apeuré dehors. Puis nous invite finalement à le suivre au bout d’un couloir sombre qui sent le renfermé.

L’homme est tapi au fond de son lit, les cheveux grisonnants, la barbe presque formée, et dévore des yeux le mur d’en face. Son dos est bien calé par des tonnes d’oreillers.

Comment peut-il tenir dans cette pièce étriquée ?

Nous nous asseyons près de lui quand le jeune homme nous a porté des chaises. Nous restons silencieuses, attendant que l'homme parle, ce qui ne nous empêche pas de penser :

*Ne les juge pas ainsi, pense finalement Céleste, ils ont besoin de nous.

*Je ne peux pas m’empêcher.

Elle se tourne vers moi.    

*C’est parce que tu ne connais pas l’origine de leurs maux, donc tu ne les comprends pas.

Elle sourit, l’air serein. Elle a sûrement raison.

*Tout ça est sûrement vrai, mais je me sens si mal.

*Tu verras, Conclu-t-elle de cet air mystérieux que je lui connais bien.  

Cette réponse étrange me revient sans arrêt.

Cela veut sûrement dire :

*Patiente, prends les choses comme elles viennent. 

Du moins je le sens comme ça.  

Je ne pense plus à rien, car j’ignore quoi penser.

*La délégation change leur argent en flocons, m’explique Céleste par la pensée, Ils sont ainsi nourris et logés par nos soins. Cela fait environ un mois que je viens plusieurs fois par semaine.

L’homme a une cicatrice près de l’œil droit :

*Ah oui ! Et ne sois pas choquée, mais on se vouvoie individuellement ici quand on ne se connaît pas. 

Je ne sais même pas ce que c’est, mais je verrai.

Apparemment il veut parler, car il gigote tout le temps en se raclant la gorge :

- Je sais ce que vous pensez de nos manières de vivre, mais nous n’y pouvons rien, lance-t-il sans nous regarder.  

Céleste m’interpelle avec un sourire malicieux :

*Qu’as-tu encore pensé derrière mon dos ??  

Je lui réponds d’un haussement d’épaules pour indiquer mon ignorance :

*ça ne fait rien, Mélisse, écoute-le, car c’est de ça qu’il a besoin. Mais n’oublie pas : il faut juste écouter, être là pour les autres, c’est le plus important.   

Très bien, alors j’écoute, mais il ne dit plus rien, les yeux toujours dans le vague :

*Il a seulement peur d’être jugé et sali en révélant trop de choses, alors ignorons-le. Regarde ailleurs, et oublie-le, pour lui donner une chance d’exister malgré tout ce qu’il pense de lui-même. Il nous révélera mieux ce qu’il est, et ce qu’il veut, si nous nous effaçons.      

Très bien, alors je l’ignore.

Je regarde les fissures du plafond, et commence même à les compter ; mais dans quoi je m’embarque, ça va me prendre tout l’après-midi !

L’homme lance :

- Aidez-moi ! C’est trop dur d’être comme ça dans ce monde misérable ! Je voudrais m’en sortir ! La dernière fois, je ne sais pas ce que vous m’avez fait, et je ne veux pas le savoir, mais ça m’a fait du bien ! Je sais que c’est presque la fin. Et vous avez raison de dire que je vais bientôt m’en remettre à l’univers. Mais je vous demande juste de m’aider à partir sans souffrir.   

Céleste s’approche de lui, et lui demande, du regard, si elle peut prendre sa main.

Elle le fait, comme il le lui permet, et des couleurs vont et viennent rapidement de l’un à l’autre.

Une lumière blanche passe par la tête de la femme, et se teinte de rosé en passant par ses mains.

Le rouge vif et le noir de cet homme se changent alors en douce lumière rosée, avant de s’échapper par la couronne au sommet de son crâne.

Il se vide de ses maux devant moi, ébahie par cette explosion de couleurs.

Quand Céleste a fini, elle le laisse immergé dans une lumière pure et rosée, le corps comme enveloppé par une bulle protectrice.

Mais je prends soudain peur, quand une ombre quitte son corps :

*Céleste, Céleste, regarde, il meurt !!!!

*Mon enfant, rassure-toi, c’est juste le sommeil.

Pour être mort, il faut aussi que l’esprit sorte du corps. C’est l’état trinitaire : 1, le sommeil où l’âme sort du corps pour s’aérer loin des limites contraignantes ; 2, le somnambulisme et tous les états dits d’inconscience, où l’esprit seul prend l’air ; et 3, la mort, où l’âme et l’esprit délaissent le corps pour de nombreuses raisons, mais souvent parce qu’il est trop usé ou qu’ils s’y sentent à l’étroit. 

Comme ces aspects de la vie ne sont pas clairs pour moi, elle m’explique mentalement :

*L’âme est ta part divine, nommée le subconscient. C’est comme une carte d’identité à travers les époques et les âges. Elle porte tes richesses passées, et le résultat de tes expériences, bonnes ou mauvaises. Tout est inscrit en elle sur plusieurs plans et à plusieurs niveaux : physique, émotionnel, mental, et des niveaux subtils. C’est ce que tu portes en toi, tes héritages, que certains nomment l’inné, mais que l’on sait d’avant.

L’esprit est un amas de pensées qui te composent et enveloppent ta personne. Elles prennent ton aspect extérieur, comme certains peuvent le voir. L’esprit porte ton caractère et ta façon de penser.

Ton corps est un outil qui te permet d’agir, de sentir des états forts, terrestres, aussi intenses dans la douleur que dans la joie pour vivre les expériences qui te feront avancer.

C’est un outil indispensable pour pouvoir évoluer d’une manière ou d’une autre.

Regarde-le bien au pied du lit. Je sais que tu ne le connais pas, mais il va se présenter.              

Il ressemble à un ange, mais différent des autres.

Sa lumière est bleutée et ses ailes délavées donnent l’impression d’en être. Il paraît doux, il est si beau ! Est-il le paradis ?

*C’est Azraël, l’ange de la mort et de la vie. Ne tremble pas, il ne prend rien, mais il donne, au contraire, car partout en tout temps, tout n’est que choix.

Et jamais rien n’est pris. Ce sont les hommes qui prennent, quand ils n’ont pas compris que nul ne meurt jamais. Le corps est éphémère, mais l’âme est éternelle.

*Regarde l’homme devant toi, il ne part pas. Il m’autorise à le guider, à l’éclairer pour passer de l’autre côté. Et c’est pareil là-bas, j’ai dû t’aider à franchir le tunnel. Je suis le sage femme de la vie, le protecteur des morts, le passeur de frontière. Regarde tous ses amis qui l’attendent à côté. Ils sont là, invisibles à ses yeux, mais bien là. J’attends juste son signal pour brandir ma lampe torche, éclairer le tunnel qu’il devra traverser. 

Je souris en voyant le signal de cet homme : une forme qui se dédouble à l’intérieur du corps, et s’amasse pour sortir, et Azraël l’éclaire.

Au lieu de lui crier :

- Pousse, pousse !!! Il lui présente sa main, et l’homme l’attrape soudain pour se laisser guider. Il remonte lentement le long de sa colonne, et sort par sa couronne, au bout de ce tunnel où Azraël l’attend.

Les anges et ses amis l’applaudissent alors, et l’univers l’accueille, en riant, en chantant. Mes yeux se brouillent de larmes devant la foule céleste qui n’attendait que lui !

L’homme sourit, soulagé, il paraît plus léger. Revit les expériences les plus fortes de sa vie, avant d’en faire le tri, en choisissant avec les anges, celles qui resteront gravées en lui.

Une lumière vivace apparaît soudain devant lui. Son esprit la regarde, comme hypnotisé. Il l’admire, s’en approche pour finalement la traverser, disparaissant ainsi de notre vue.

Le jeune homme, resté seul avec nous dans la pièce grise et morne, éclate violemment en sanglots, désespéré dans les bras de Céleste.  

 

 

 CHAPITRE 17

La révolte des esprits 

 

Le jeune homme va et vient au summum de l’angoisse.

Il se lève nerveusement du fauteuil du salon, s’assoit, se lève encore, et se plante finalement devant l’une des fenêtres, semblables aux meurtrières où son visage blêmit.

Dehors j’entends les plaintes grinçantes de ceux qui veulent le tuer à cause d’une trahison.

J’en ignore la raison, mais le résultat est là.

Je songe :

*Qu’allons nous faire ? La mine interloquée, sans même oser bouger.

* Attendre de savoir ce qu’il attend de nous. Il attend quelque chose. 

Je regarde le jeune homme, suspendu à sa fenêtre.

J’ai une folle envie de fuir cette maison où je me sens pourtant plus sereine que dehors :

 - Vous voulez m’aider ? ! Demande-t-il soudain, affolé, Je ne sais plus quoi faire ! ! Je sens qu’ils veulent me tuer !! A mon grand désespoir, je suis devenu leur propriétaire ! Faites quelque chose pour moi ! Vite, faites n’importe quoi ! !

Céleste aussi est affolée, elle me regarde avec impuissance :

- Je vous en prie, aidez-moi ! Insiste le jeune homme, Dites-leur n’importe quoi, au moins pour les calmer ! Vous voyez que ma vie en dépend ! !

Céleste sourit alors, elle doit avoir une idée, mais s’est évaporée avant que je puisse lui demander.

Je vais me planter à côté du jeune homme pour regarder dehors, effrayée d’assister à une scène improbable où un malentendu peut naître à tout instant.

Le temps s’allonge pourtant sans vague. Les regards sont fermés.

Certains voisins s’accoudent au portillon de bois avec une lenteur étudiée. Malgré leur mine fâchée, ils ne bougent pas d’un cil, n’arrêtent pas la conversation.

En face d’eux, Céleste se démène gaiement par la parole et la pensée.

Tout le monde guette un miracle, le cou tendu vers elle, pour jauger l’offre de plus près.

Je peine à déglutir, pétrifiée par la peur, mais c’était inutile.

Céleste a réussi, je ne peux pas dire comment. Certains lui serrent la main, d’autres plongent dans ses bras ; je réalise pourquoi.

En fait, j’ai toujours su, dès que j’ai vu le rose émaner d’elle : que l’important n’est pas ce que l’on dit à l’autre, mais plutôt le sentiment qui accompagne les mots.

Je me lance derrière elle, disparue dans la nuit.   

 

 CHAPITRE 18

Un soir de novembre

 


A la tombée du jour, la foule bavarde et zigzague avec joie dans les rues lumineuses d’Esperanza.

Céleste et Mélisse se mêlent à cet ensemble. Riant bras dessus, bras dessous, elles admirent les tenues et les yeux des passants.

Elles rêvent en avançant, quand Céleste s’arrête net :

*C’est lui, le fils du père ! 

Elles le poursuivent alors dans une ruelle étroite où il se lance soudain comme s’il était traqué. Elles le cherchent un moment dans un immense couloir où des images dansantes tapissent les murs marbrés.

Ils arrivent tous les trois dans un hall où la foule les accueille.

Des enfants les saluent, filent se cacher, se cherchent, et courent partout dans une forêt improvisée.

Le jeune homme va s’asseoir à une table isolée où quelqu’un lui porte rapidement à boire et à manger.

Installées face à lui, à l’autre bout de la salle, les filles le voient sans le regarder, manger d’un air inquiet. Elles discutent en riant, mais Céleste pose parfois un regard vigilant sur lui.

Elle peut lire ses pensées en image sur sa tête. Et peut même les entendre en se concentrant, malgré la silencieuse cohue de la foule survoltée.

Mais le vent tourne soudain quand elle comprend enfin la nature des pensées.

Ces pensées créatrices annoncent la mort de ce jeune homme, et Céleste hallucine d’assister au spectacle.

Il va réaliser sa mort à force de la rêver ! Mais il persiste encore, craignant tellement sa mort, qu’il la voit dans sa tête, et il la voit si fort, qu’il va la provoquer.

Le rêve n’a d’intérêt que s’il est exaucé, autrement à quoi bon rêver ? Seulement le temps utile pour relier les deux points : rêve et réalité, nous échappe complètement si nous n’y croyons pas, au point même d’oublier que nous l’avions rêvé. Le simple fait d’avoir conscience de l’existence du lien permet de réduire la distance entre rêve et réalité, et d’être rapidement exaucé.    

Par le biais de la pensée, Céleste recommande rapidement au jeune homme d’arrêter, tellement fort et longtemps qu’il le sent, et se lève, affolé, avant de disparaître par le hall, et l’entrée.

Elle le retrouve dehors où il rend ses douleurs, appuyé contre un mur : il tremble, pleure en criant, et s’efface rapidement, emporté par deux ombres et un téléporteur.

D’abord tétanisée, Céleste s’autoporte finalement au centre de police :

*Que t’arrive-t-il, Soleil ? Lui dit son habitant.

*Je viens de faire une bourde. Jeune homme enlevé au Cimetière des sourires.

*Bien, j’envoie des collègues, et tu iras aussi. Céleste approuve gravement.

Des éclairs de Soleils surgissent en un instant, et s’en vont illico à cette destination.

 

Le temps est à l’orage dans la rue des de Mirles, envahie d’une horde d’habitants bien décidés à faire sa fête au jeune homme, lié à un poteau.

Ils poussent des cris morbides, l’insultent, lui crachent dessus. On pourrait se croire à une autre époque. Les Soleils-policiers sont cachés dans l’obscurité en attendant le bon moment pour intervenir. Ils encerclent peu à peu la foule, qui crie et lève le poing avec férocité à l’égard du jeune homme.

De son côté ce dernier rêve toujours aux pires choses, comme si ce qu’il vivait ne lui suffisait pas.

Le pire se nourrit du pire, le meilleur, du meilleur, et l’esprit, de ce qu’il connaît. Le rêve s’exaucerait donc par la pensée, et l’image qu’on s’en fait.     

La foule s’approche toujours plus du jeune homme, obligé de se ramasser de son mieux sur la barre de fer pour amortir le coup des injures, des crachats, qui témoignent de la peur de ceux qui les infligent.

Céleste est atterrée par la violence des habitants, qui scandent de tous côtés.

Soudain des Soleils-policiers font signe à d’autres d’avancer pour mieux se mêler à la foule où Céleste les rejoint, au milieu des visages déformés par la haine. Elle vogue malaisément dans cette houle hurlante, évite au mieux les coups, les bras, les jambes, comme désarticulés, s’approche de deux hommes à l’écart. L’un fait signe à l’autre, et lui tend un téléporteur, rapidement glissé dans un sac. Céleste prévient les policiers par la pensée, et ils stoppent les deux hommes avant qu’ils puissent bouger.  

Un policier s’empare du sac, pendant que ses collègues expédient tout le monde dans leur centre.

Alors le sol se change en tapis confortables. Le silence tombe, violent, et de nombreux visages cherchent une explication. Les habitants restent bouche bée, debout au milieu de la salle où ils viennent d’arriver.

Les policiers les invitent à se mettre à l’aise, à s’asseoir en cercle sans leur laisser le temps d’analyser la situation. Alors tout le monde s’assoit sur des coussins, et on leur sert à boire et à manger.

Stoppé dans ses élans de vengeance, chacun écoute, docile, et se plie aux règles induites par l’attitude des policiers, ressentant l’indulgence, le soutien et l’absence de jugement qui émanent d’eux en permanence.

Suit une immense thérapie de groupe. Personne n’ose parler au début. Puis les bouches se délient peu à peu à force d’œillades maléfiques, de regards scrutateurs, pour parler de choses anodines et contourner le sujet critique. 

Les policiers attendent, conscients de l’utilité de ne laisser fuir personne tant que tout le venin ne sera pas écoulé.

Puis quand l’un éclate en un flot de reproches acerbes à l’égard du jeune homme pour des raisons souvent jugées injustifiées par les autres, certains le suivent alors de plus en plus violents. Ils brandissent tous le poing, menacent de se lever pour régler quelques comptes.

Heureusement que le jeune homme n’assiste pas à cela. Une personne le soutient dans une salle voisine. Elle l’aide à se relever plus fort après cette sinistre expérience.

Céleste voudrait parler, les policiers l’encouragent d’ailleurs à le faire d’un regard conciliant, seulement les habitants sont loin d’avoir fini de déverser leur haine, très agacés aussi par la neutralité des policiers.

Ces derniers remarquant la violence à son comble, désignent des punching-balls dans un coin de la salle, et certains habitants osent se lever, s’en approchent timidement pour finalement cogner dedans avec une rage croissante.

D’autres, moins violents, sont invités à aller bêcher dans le jardin du centre, et ceux qui restent assis se contentent de s’insulter. Pendant ce temps, les Soleils purifient l’atmosphère avec de belles pensées.

Tout le monde rejoint la salle, et le silence se fait, à force d’épuisement, de compréhension et d’amour témoigné. Ils sont ensuite téléportés à un temple isolé qu’on leur demande de traverser les uns après les autres. Ils en ressortent transfigurés. Certains avaient des maux, des troubles, des maladies. Ils ressortent souriants et en parfaite santé.

Ils sont tous amenés à nouveau dans la salle où Céleste leur dit :

- C’est le moment de changer de vie, de tout recommencer. Nous vous avons soignés par la pensée pour vous démontrer son pouvoir sans borne. A vous maintenant d’en profiter : changez l’état de vos pensées et vous changerez de vie. Créez celle qui vous fait envie rien qu’en l’imaginant. Pensez-la, rêvez-la, et si vous le faite vraiment, elle se réalisera. Allez ! Conclu-t-elle finalement avant de disparaître, Les murs n’existent pas !  

 

Céleste retourne dans la grande salle où elle a laissé Mélisse. Elle la retrouve en train de danser, ce qui ne l’étonne pas. Le visage lumineux, elle bouge au rythme régulier d’une musique entraînante parmi la foule électrisée. Elle danse à n’en plus pouvoir sur les rythmes effrénés. Elle se laisse porter, savoure les changements de qualité du son, se mêle aux autres avec un bonheur, une joie non dissimulée. Des bras l’emportent et la ramènent, elle se laisse chavirer ainsi, surprise à chaque fois qu’elle le voit, comme si sa présence pouvait être étonnante, alors qu’il est simplement là et danse avec les autres sans se poser de question. Chaque fois qu’elle tombe sur lui, entraînée par la foule et le rythme soutenu, son cœur a un sursaut et elle le dévisage, ne le quitte plus des yeux. Ou bien ? Elle en mourrait ? Alors elle ne le doit pas, elle ne doit plus le quitter. La légèreté s’installe pour une fois dans sa vie sous une forme étonnante, quand l’objet du bonheur s’impose comme une question de survie. A chaque fois qu’elle le perd des yeux, son cœur a un sursaut, un drôle de revirement de situation qu’elle n’a pas vu venir.

Les musiciens prennent quelques temps de répit. Ils l’ont bien mérité depuis une heure qu’ils jouent presque sans interruption sur des rythmes effrénés. Mélisse les regarde descendre de leur estrade pour ne pas le chercher lui. Celui qu’elle ne veut plus quitter des yeux, celui qu’elle sait être l’amour de sa vie. Il y a des certitudes comme ça, déconcertantes, mais vraies. Elle le cherche des yeux. Puis cherche du réconfort dans une salle à l’écart, loin de ce brouhaha, une piscine à remous où certains trempent leurs pieds. Elle y mêle les siens sans se poser de question, et fatiguée de chercher, ferme les yeux un moment. Des vagues artificielles se jettent contre les bords, les remous massent les pieds, et avec eux, le corps.

Quand elle entend ces mots :

-Mélisse ! Mélisse ! Retourne-toi ! Tu me vois ?!

Elle se retourne alors, et remarque sa grand-mère, décédée depuis peu.

-Alors ça y’est, je peux, Se contente-t-elle de dire en la fixant des yeux.

-Je dois t’annoncer deux, trois choses, déclare sa grand-mère d’un ton neutre.

Mélisse hoche la tête, et sa parente annonce,

-Tu es très importante pour l’avenir de ce monde.

Là, Mélisse écarquille les yeux, elle suit difficilement.

-C’est ton enfant, ta fille, qui va changer ce monde.

Mélisse a un sourire narquois qui ne présage rien de bon, mais sa grand-mère ne se dégonfle pas.  

-Elle sera influente, en bien.

La jeune fille se lève à ces mots. C’est l’effet des annonces, c’est toujours alléchant, mais elle demande à voir.

-Tu verras ! Conclu sa parente avant de disparaître.

C’est là que Mélisse a une question, mais c’est trop tard, évidemment.

Elle reste frustrée un long moment.

-Je connais bien les annonces, Assure une voix posée, près d’elle, Elles se réalisent toujours une fois qu’on les a oublié pour préserver l’effet de surprise, la spontanéité de la situation. Elim ! Lance celui qu’elle cherchait, en lui tendant la main.

-Merci ! Répond-elle juste, en l’empoignant.

Il sourit simplement. Ils ne peuvent plus se lâcher.

-Oh, ça va commencer ! Viens avec moi ! Réalise-t-il soudain, et il l’entraîne gaiment dans la pièce à côté où la lumière s’accroît. Ils rient en se déplaçant.

La foule se rassemble peu à peu devant une maquette d’Esperanza, de la largeur de la salle, construite en dominos, au-dessus de l’immense globe vitré du plafond qui permet d’admirer les étoiles de notre voie lactée.

Elim a une idée, ils se mettent en retrait des autres, et se fixent à deux baudriers qui semblent tomber du ciel. Ils se laissent porter par le mécanisme complexe qui leur permet d’abord de se balancer, de se projeter dans les airs, de s’élever à leur guise.

Puis quand le spectacle est annoncé, ils sont hissés jusqu’au plafond, et ne peuvent plus bouger pour admirer ainsi la chute des dominos. Elim lui tient la main, et ils restent là, comblés.

Ils sourient en voyant les Soleils qui lévitent à côté, les saluent gaiement, et se concentre sur la musique moins forte et la lumière plus vive aux quatre coins du plan.

Les musiciens jouent d’abord doucement, puis lèvent progressivement les notes, les font monter sans cesse, jusqu’à saisir au vol l’attention de la foule.

Les notes s’élèvent encore, toujours plus haut, plus vite. Et tout le monde se demande quand elles vont exploser.

Bien sûr ça n’arrive pas.

Puis quand on ne l’attend pas, elles surgissent des enceintes.

Alors des dominos s’envolent aux quatre coins du plan pour en propulser d’autres. Des lignes s’effacent à vive allure. Les dominos s’allongent, dévoilant des gravures dans les pavés fictifs sous le coup de la musique qui s’est accélérée.

Les dominos s’en vont, viennent, et s’enfuient d’un bond, disparaissent, en chutant dans un petit cours d’eau ; ils gravissent le rebord, ressortent comme par magie, défiant les lois de la pesanteur, puis filent soudain bien vite, projetés de tous côtés pour relancer des lignes ou glisser sur le plan comme la fine neige de coton blanc.

La foule voit des bateaux portant des dominos, naviguer sur les eaux d’un fleuve artificiel.

En percutant les bords d’un bassin de fortune, ils larguent leurs passagers qui balayent d’autres lignes. Et ça n’en finit plus, mais la foule est comblée.

La fin est devinée quand la musique s’élève.

Tout s’éteint subitement, la lumière et les sons, et tout s’éclaire d’un coup.

La foule digère alors, puis fait vibrer les murs d’un beau geste claquant.

Mélisse sourit soudain en remarquant Céleste qui lévite à côté :

*J’ai un message pour toi,lui annonce cette dernière, Une femme m’a informé qu’elle allait de l’autre côté. Elle nous dit de prendre les choses comme elles viennent ; seulement en les demandant. Que notre fin sera belle, et que l’on ne la vivra pas seules, loin de là. Que nous avons le soutien du monde de la lumière. Ah ! Elle a dit aussi que tesouafs lui manqueront.

Mélisse explose de rire à ces dernières pensées :

*Mais qu’est-ce que c’est que les ouafs ?

*Seulement des petites chatouilles sur les bras pour détendre.         

 

 

 

  

 

 Troisième partie

 

 

 


 

CHAPITRE 19

Le rendez-vous des Soleils 

 

Les vagues s’écrasent contre les récifs de la mer où Paris la noyée dort encore sous les flots.

Le soleil couchant cède la place aux Soleils, dressés sur le bord d’une falaise.

Ils regardent Montmartre narguant la Tour-Eiffel, du haut de sa colline, et Notre-Dame, la grande, enlisées sous les flots.

Ils regardent les rues, les carcasses de voitures, les pavés, les vitrines de quelques magasins, les parcs, les avenues, avec l’arc de triomphe, souvenirs du passé, visibles en cherchant bien.

Une ombre lumineuse apparaît derrière eux :  

- Bonjour Soleils ! Je viens vous annoncer que je ne peux plus mentir si on lit mes pensées. Je ne peux pas vous dire avant d’aller de l’autre côté, que la mort, par exemple, c’est terrible. Au contraire, rien ne nous résiste, on passe à travers tout, on glisse à l’infini, c’est un état superbe. Je suis enfin libérée du corps, ce berceau de douleurs. Non, je ne peux pas vous dire que l’on souffre atrocement, car on ne ressent plus rien, seule la paix dans son âme. Alors je ne dirai rien si je ne peux pas mentir.

Mon arrière, arrière petite fille, Mélisse ! Je suis si fière de toi, et je ne me force pas, malgré mon état stable. Etre Soleil si jeune ! Mais je le savais déjà.

Je dois te dire une chose que tu sais certainement : ta fille changera la vie pour beaucoup d’entre vous. En fait elle la changera pour la majorité. Elle vous fera changer ; elle va vous délivrer. Tu verras, c’est un fait. 

Mélisse ne ressent rien. Vois l’esprit, stupéfaite, et s’interroge en vain, quand il s’en va soudain.       

 

 

 LIVRE II

L’arbre de vie

 

 


CHAPITRE 20

Je me souviens très bien  

 

Un précieux souvenir me frappe un beau matin ; inoubliable, et pourtant si ancien que je ne le savais plus.

Je me vois deviser dans un lumineux couloir céleste avec une âme qui me suit depuis longtemps à travers différentes vies aussi tortueuses les unes que les autres.

Songeant à ma dernière existence, je lui dis :

- La prochaine fois, j’enfanterai un être qui changera le monde en paradis.

Et l’autre âme me demande.

- Je peux être cet enfant pour faire changer ce monde ?

- Oui, pourquoi pas. 

Nous avançons ensuite vers la porte du jardin spirituel où tout le monde rêve d’aller.

Mais le gardien à l’entrée me refuse l’accès, et je me sens blessée :

- Pourquoi, qu’est-ce que j’ai fait ?

- Tu n’as pas fini tes vies. Retourne sur terre ! Allez, oust, du balai !!!

- Mais j’ai au moins le droit de savoir ce que j’ai fait ! Va Le chercher !

Le gardien part quelques minutes, aussi longues que l’éternité.

Et lance à son retour :

- Il te trouve grossier ! Il t’a créé, comme tout ce qui est là, et n’a pas à justifier ses refus !

- Je le sais, je voulais juste savoir, c’est tout. 

Je m’éloigne alors, dépitée de devoir revenir trimer sur terre.  

Quand l’autre âme intervient :

- Si elle n’y va pas, moi non plus ! Je ne la laisserai pas !

- Mais personne n’a dit que tu pouvais y aller.

Et nous allons plus loin.

Je me laisse doucement glisser sur le sol où l’autre âme me console. Cette image est si claire !

 Je réalise avoir conscience de cet instant de ma mort comme si c’était un vieux souvenir d’enfance.

Si mon enfant à venir est cette âme qui m’est chère, alors la mort et la vie sont bien inséparables comme nous deux !

Je me vois ensuite programmer mon retour avec les anges : je choisis mes parents, le lieu où je grandis, mon sexe et ce que je suis.

Et avec ce souvenir, je comprends pourquoi j’en voulais tant à l’être qui m’a créé.

Pourquoi j’ai longtemps refusé de croire en lui. Oui, refusé, comme lui-même l’avait fait. 

Et à l’aube de réaliser ce pourquoi je suis née, je comprends surtout que ça valait la peine de persévérer, de croire et d’espérer. Car le monde devient si beau, si je dois le changer par l’être que j’ai créé !

 

 

 CHAPITRE 21

Le coteau merveilleux

  

 La maison trône, aux portes du désert, sur une petite colline, ensablée par endroits.

Nous vivons là, avec Elim, au cœur d’une foule d’arbres fruitiers, d’aloès, de palmiers.

Notre amour s’écoule, pure et libre comme l’eau fraîche environnante. 

La maison est refroidie par la roche d’un pan de montagne qui la soutient et la dépasse à peine. 

Pour produire la chaleur et l’électricité, des capteurs, sur le toit, saisissent la lumière, reflétée sur les flots d’un étang minuscule, qui s’enroule tendrement autour de la maison.

Un bras d’eau part du bassin, et tourne sans cesse dans un circuit où l’eau se renouvelle à l’aide d’un filtre électrique, avant de jaillir comme une fontaine au milieu de l’étang où je me fais masser par les remous chauffés.

Cette eau est juste utilisée pour les besoins ménagers.

Une source, en dessous, alimente un robinet pour la consommation.

Je suis allongée sur le dos, et me fais donc masser. Et mon ventre gonflé, rêve d’être soulagé du poids de cette vie qui s’ébat dans mes flancs. Celle-ci me pompe le sang pour vivre et respirer, au chaud et en sécurité dans le liquide amniotique.

Je laisse filer mes craintes dans l’eau, et pas dans cette vie qui se presse à ma porte.

Préoccupé par sa future paternité, Elim me soutient, me rassure, et m’aime aussi un peu.

Nous sommes heureux, légers, malgré le poids qui m’écrase sous les flots.

Je sais qu’il va bientôt tomber, car les Soleils arrivent, un grand sourire aux lèvres.

Un dauphin apparaît. Il me chante une berceuse, puis va souffler des sons près de mon ventre et du cadeau enfoui dedans.

Je me sens soudain troublée quand tous les animaux du désert et de la maison, la traversent, et s’approchent de moi, car ils avancent rarement aussi près et confiants.

Et quand les Soleils lancent :

*Tu comprendras plus tard, ça m’aurait étonné.

Toutes façons, pas de surprise, comme tout est programmé ou devrais-je dire, scénarisé.

« Nous ne savons jamais ce que tu vas demander, mais toujours les réponses que nous pouvons te donner », me soufflent-ils, enjoués.

Nous ne saurons pas toujours ce que la vie nous réserve, mais souvent ce qu’elle réserve aux autres seulement pour les aider.

Je soupire alors, et pousse fort pour aider cet enfant à traverser le temps, d’une vie à l’autre, de la chaleur vers la lumière. Et ma joie se décuple, dans le grand soulagement de délaisser ce poids.

J’embrasse alors l’enfant, et le serre contre moi, sachant que c’est important, si primordial pour lui de se sentir aimé par ceux qui l’ont conçu.  

Elim, tout contre moi, nous l’embrassons, l’aimons, il ne faut pas qu’il doute, il ne faut surtout pas.

Les animaux s’ouvrent un passage jusqu’à Elim et moi, ils posent leur souffle chaud sur le front de l’enfant, comme une bénédiction, et s’en vont lentement.

Je reste tétanisée, ébahie, subjuguée :

*Ne t’en fais pas, Mélisse, tu comprendras plus tard, me soufflent les Soleils.

*Oui, et bien je l’espère ! 

Ils s’esclaffent en pensée, comme la ronde animale chante son souffle, et se tait.

 

Elle s’appelle Olivia, mais peut changer de prénom s’il ne lui plaît pas.  

Elle grandit dans la maison en compagnie des animaux.

Je les laisse entrer, car l’enfant sourit singulièrement en leur présence. Son visage s’illumine, comme lors de sa naissance.

Et Olivia grandit.

Elle fait ses premiers pas, accompagnée d’un chien ou d’un chat, qui semble la protéger :

*Qui es-tu, gros minou ? Un messager, dis-moi ? ! 

Mais le chat noir ne répond pas, et me regarde comme s’il voulait parler, mais pas à moi.

Olivia court et tombe au fil du temps qui passe ; elle se relève plus forte, et arpente la maison.

Elle écoute le silence auprès des animaux, comme si ils lui parlaient. Je l’entends leur répondre.

Les Soleils viennent la voir, et nous l’éduquons tous, d’une même voix de pensée. Et dans un même regard elle peut lire notre amour, nos désapprobations, tous nos encouragements et tout notre soutien. 

L’enfant a grandi vite. Les Soleils disent que c’est normal, car il a eu l’essentiel : l’amour de ses parents palpitant sur sa peau, il est vite disposé à aller courir le monde.

Olivia voit d’abord son monde, elle est ce qu’elle ressent, ce qu’elle voit et entend. Avant de se forger sur tout ce que nous sommes, car elle sent ce qu’on dit, et elle le reproduit.

Elle sent l’apport des autres en présence des Soleils.

Nous sommes tous si fiers d’elle.

En fait il faudrait être ce que l’on voudrait que notre enfant devienne ou alors le devenir pour l’aider à grandir.

 

Quand vient l’adolescence, encore liée à nous, elle rêve d’indépendance :

*Je veux aller à la fête des cultures !

*Tu le peux, Olivia.

*J’irai demain à l’aube.

*Tu feras comme tu veux.       

 

 

CHAPITRE 22

Elim

 

Si mon grand cœur d’adulte m’empêche de rêver, je pense très fort à toi, et vogue ainsi plus loin que je n’aurais pensé.  

Je songe parfois à tes erreurs, à tes regrets, mais je le fais sûrement à tort, oui, je l’admets.

Je voudrais être une flamme pour éclairer les dunes de ton enfance voilée de brume.

Demande-moi et tu auras, et si la vie se fait plus rude, qu’elle tombe sur moi, amie, sur moi !

Je sais que tes expériences sont primordiales pour avancer. 

Alors je serai là, et tu vivras selon ta loi, avec les bases de l’amour. Car l’éducation ce serait cela, après la base, plus rien à faire, juste regarder et épauler, devenir l’ange de l’être aimé.

Olivia.

 

  CHAPITRE 23

La grande envolée 

 

Le soleil pointe à l’horizon, quand Olivia s’éveille, sereine, épanouie.

Elle s’étire, paresseuse, frôle ses cheveux tressés de ses deux poings serrés, et se glisse lentement dans un pagne coloré.

Puis elle file au dehors, court, pieds nus sur le sol, avec agilité.

Les animaux se pressent contre elle, ils la sentent, et la laissent, comme ils l’ont toujours fait.

Certains s’éloignent, et d’autres l’escortent au fond du grand jardin où elle se pose enfin sur un immense rocher en surplomb de la plaine.

Elle aime se tenir là dès l’aube, et voir Esperanza briller au loin de toutes ses constructions.

Olivia guette un moment la rougeur matinale du soleil timoré. Puis sort son téléporteur, et le lève à bout de bras.

Elle lui souffle tout bas :

- Emmènes-moi à Heartest. 

Et s’efface subitement de la réalité pour arriver là-bas, au cœur de la grande place. Gravée sur ses pavés, une fresque imposante symbolise les cultures : une guirlande Humaine en cercle, main dans la main. Chacun porte un costume d’un des pays d’avant.

Olivia est soulevée par l’esprit de la foule autour d’elle, qui l’acclame. Elle rougit de plein fouet, portée par l’impression unique d’une telle reconnaissance.

Mais la foule ne cherche pas, il y a une bonne raison pour qu’elle atterrisse là, et peu importe laquelle.

La fille est si gênée qu’elle s’éloigne rapidement dès qu’ils la font descendre.

Elle voudrait, malgré tout, ne jamais oublier ce moment délicieux, irréel et léger où elle semblait planer juste au-dessus du sol, le visage ébloui par les feux du soleil.    

Et se sent soudain seule au milieu de la foule qui ne cesse de chanter.

Elle regarde les Hommes, soulevés un à un, pour être célébrés.

Plus loin des enfants dansent gaiement sur le chemin de roses qu’on leur a préparé.

Quand tout le monde a goûté à sa minute de gloire, la foule se réunit pour exprimer les maux qui jalonnent sa vie.

Certains, aidés d’un texte, dévoilent leur façon de penser, leur philosophie ou leur état d’esprit. Et d’autres viennent au milieu, s’expriment par des mouvements, applaudis par la foule.

Des singes arrivent alors, traversent la masse humaine sans émoi apparent, et s’approchent d’Olivia.

Une fois à sa hauteur, ils lui saisissent la main, et la tirent hors du cercle.

Mais la foule en profite pour convier Olivia à danser avec eux, et comme elle n’ose pas, un jeune homme la relaie.

Ses yeux bleus sont si perçants, qu’elle ne voit qu’eux.

Et le jeune homme se lance au rythme des jumbees, des violons, des cithares, d’une foule d’instruments.

Il se laisse emporter, et danse avec les singes qui hésitent subitement. Puis jouent le jeu, finalement, acclamés par les Hommes.

Un cheval vient alors, un grand étalon blanc, qui se fraye un passage dans la foule enthousiaste, pour rejoindre Olivia.

Elle se lève pour le suivre, mais des enfants rappliquent.

Ils se hissent sur son dos, sans bride, ni harnachement, et paradent alentours sous les yeux d’Olivia, figée d’ébahissement.

Après un long moment, elle rejoint sa famille, pensant avoir rêvé que tous ces animaux sont venus la chercher.

Elle repère ses parents à côté de Céleste, avant de réaliser que le jeune homme aux yeux bleus est parti dans la foule.

 

Et la fête bat son plein sous les rires et les chants.

Dès la tombée du jour, les repas sont servis. Ils sont variés, doux, épicés.

Les plats sont colorés, semblables à des tableaux. Un régal pour les yeux, délice pour les papilles.

Chacun se sert, savoure ces assemblages exquis, semblant tomber du ciel.

La fête est à son comble quand autour d’un grand feu, de nombreux volontaires, présentent ensuite aux autres, ce qu’ils aiment le plus faire.

Certains proposent des rondes pour entraîner la foule, d’autres proposent des chants ou la lecture d’un texte, un plat, un jeu, un mot, un discours, un aveu.

Cela dure toute la nuit.

Les corps sont épuisés à force de se démener, ils s’écroulent où ils sont, un grand sourire aux lèvres.

Olivia est perdue dans ces corps dispersés : les bras, les têtes, les jambes, sont tous entremêlés.

 

La fille s’est endormie, bercée par les polyphonies, les crépitements du feu et les bruits de la nuit. 

Elle rêve à l’étalon, revenu la chercher. Cela semble si vrai, qu’elle croit ne pas rêver.

Elle s’envole sur Éole transformé en cheval, à la marche ample et souple, aux naseaux frémissants, à la forte encolure. 

 

 CHAPITRE 24

 

L’appel de la nature

 

Le matin se réveille en chantant doucement.

Olivia dort dans une grotte près de la maison de ses parents.

Quand elle ouvre les yeux, elle scrute les alentours, un peu surprise du lieu.

Les animaux s’approchent lentement, et la sentent.

Elle pousse un lourd soupir, puis caresse leur museau ou leur groin frémissant.

Céleste sourit à ses côtés, comme si elle savait tout. Et son sourire augmente, comme un bruit au dehors glissant sur les cailloux qu’il percute sourdement, comme le cœur affolé de sa jeune protégée.

La pupille dilatée, Olivia fixe l’entrée, et elle reste atterrée quand un cheval paraît : c’est celui de son rêve, qui semblait si réel.

Elle ne doute plus alors, elle va devoir le suivre.  Submergée par les larmes, elle regarde sa marraine, pour chercher une réponse ou une indication.

Céleste l’ignore, seulement, comptant apparemment les rainures du plafond.

Le cheval vient se planter devant elle, et l’invite à monter d’un prompt coup d’encolure.

Il lui présente son antérieur courbé, levé comme un support où Olivia se hisse, complètement affolée.

Elle sent qu’elle devra quitter sa maison, ses parents, toute sa vie d’avant, pour avancer ainsi, transportée par sa vie. Elle le fait, malgré elle.

L’étalon se retourne quand elle est sur son dos. Elle en profite alors pour faire signe à Céleste, une légère larme à l’œil.

Et le cheval s’éloigne. Ses pieds percutent le sol, et glissent sur les cailloux. Mais quand le terrain est plat, sa démarche, ample et souple ressemble à celle d’Éole.   

 

Olivia sent qu’elle savait tout, par la présence des animaux et par l’appel du vent.

Nous devinons les choses, c’est vrai, même sans savoir pourquoi.

Pas besoin d’être prêt, car la route en elle-même est un apprentissage.

Nous pouvons y aller sans connaître son but, et y allons souvent comme Olivia le fait.

 

La croupe de l’étalon s’affaisse parfois dans des trous surprenants. L’avancée est freinée par le sable profond.

Olivia se tient fort à l’encolure robuste, à la crinière frisée. Du haut de sa monture, elle se courbe en avant, frappée par la chaleur, s’enfonce dans ses vêtements.

Le vent se lève doucement, il leur envoie des piques.

Des grains de sable fouettent, l’obligent à s’incliner, la main devant les yeux.

Elle respire par à coups, et le cheval résiste au mieux au poids du vent.

Les éclairs zèbrent, puis tonnent sourdement dans le ciel où le souffle aigu, siffle comme un fantôme sans chaîne.

Olivia cherche le vent, tombé comme un mirage.

Le terrain s’aplanit, laissant voir les parois d’une grotte à l’horizon, comme celle qu’ils ont quittée, avec un sobre auvent.

Le cheval s’arrête là, et Olivia descend, craignant de se cogner aux parois trop étroites. 

Elle visite tout d’abord le logement sur ses gardes, puis se rassure soudain de voir le cheval allongé.

Elle n’a jamais perçu une bourrasque de pluie, et file se blottir, tremblante, contre le pelage de l’étalon au son d’une averse au dehors.

Elle attend là, impatientée, sonnée par la chaleur et l’air lourd qu’elle découvre.

Puis quand la nuit relaie la pluie, elle s’assoupit le ventre vide, réconfortée par la chaleur de l’animal et la chanson d’un souffle dehors.

Olivia tremble soudain en percevant des pas. Elle lève alors la tête, humant l’air frais, la terre humide, certaine d’entendre un bruit résonner dans la nuit.

Une voix souffle :

*Qui es-tu ?

*On m’appelle Olivia, j’ai faim et j’ai très froid, songe-t-elle alors troublée, Je voyage sans but.

* Très bien, je vais t’aider. Je t’appellerai Courage. 

L’éclat de la lune dévoile l’ombre immense d’un Humain, puis celle d’un animal et son dos bosselé.

Le temps s’arrête, comme l’ombre s’est avancée.

Olivia scrute en vain le visage et les mains dans l’espoir de trouver le jeune homme aux yeux bleus.

Elle veut que ce soit lui, et se sent protégée par cette simple croyance.

L’Humain lui offre à boire et à manger, et lui propose aussi de nouveaux habits où se réfugier.  

Olivia dort ensuite quand elle est rassasiée, pour s’évader en rêve dans la mer étoilée, sûre d’être protégée par celui qu’elle attend.

Elle voyage à bout de souffle jusqu’au bout de la nuit, et revient au matin quand la lune s’est enfuie.

Elle se frotte les yeux, engourdie par ses balades nocturnes.

Puis cherche partout celui qu’elle croit être le jeune homme. Elle le cherche longtemps, complètement affolée, mais il a fui dès l’aube avec l’étalon blanc.

Elle revient sur ses pas, et découvre un chameau couché devant la grotte, avec un sac à dos.

Mais Olivia a peur de les voler, déconcertée aussi de les abandonner. Elle reste là, finalement, dans sa crainte de manquer une opportunité.

Le chameau se lève, et s’étire, nonchalant.

Il part sans la regarder ; alors elle court après avec le sac à dos :

*Attends, chameau, tu as oublié ça !    

*Je ne m’appelle pas chameau, mais Argul, et ce sac est pour toi. Moi aussi, mais tu ne me veux pas. 

Olivia reste interloquée : 

*Ce n’est pas possible ! Je n’ai pas parlé à un chameau en pensée ! 

Elle le suit finalement dans le désert qui s’étend et projette des mirages dans les dunes arrondies.

Le rythme ralentit dans le sable profond, mais elle le suit toujours, malgré toutes les pensées auxquelles elle ne croit pas.

Le soleil est tranchant comme un bout de métal. Le sac à dos fait mal, il lui scie les épaules, mais elle avance encore.

Les arbres se font rares, ils tombent soudain en friche. Il n’y a plus rien à voir à part la mer de sable, océan de torpeur qui engloutit les êtres.

Mais elle poursuit toujours, marchant avec langueur et une extrême lenteur. Elle redevient un corps, assoiffé, épuisé, délestée de pensée.

Plus tard la mort présente ses carcasses animales, son vide et son néant, sans rien de végétal, sans la moindre goutte d’eau :

*Je dois retrouver mon aimé ? Où est-il ? C’est à lui.  

Et la jeune fille s’effondre.

Argul lui fait de l’ombre quand elle ouvre les yeux, il ne l’abandonne pas, alors elle garde espoir.

Elle se calme, et s’assoit :

*Mange et bois ! Songe Argul.

Mais elle refuse de croire qu’il vient de lui penser, et n’ose pas, surtout.

La vie l’inspire soudain, et elle l’écoute enfin, sans voler pour autant. Oui l’être seul est libre de se sauver ou non.

Olivia ne meurt pas de son indécision, mais elle se rassasie. Puis s’allonge, et s’égare, frappée par la chaleur.

Un monstre l’invite alors d’une voix éraillée dans un puits asséché.

Sa conscience l’accuse ainsi de vol, mais elle n’a rien volé. Car moi, le Relatif, ai envoyé cet Homme pour la sauver, la soutenir et l’aider pour cette traversée.

Seulement la peur gouverne encore ma protégée, elle ne lit pas mes signes, trop flous pour son jeune âge, et refuse de me croire alors que je suis là.

 

Àson réveil, elle trouve une djellaba pour remplacer sa robe trempée de sueur, et un foulard, qu’elle imbibe avec l’eau qui l’a désaltérée.    

Puis quand elle est remise, changée et rafraîchie, elle va vers le chameau, et se hisse sur son dos, avant qu’il se soulève, mais le départ brutal la force à s’accrocher.

Le chameau va, cahin-caha, sur le sol cabossé comme son dos.

Et la jeune fille se laisse bercer par le rythme entêtant et la morne apparence du paysage immense.

Les dunes se suivent, semblables ; des lacs imaginaires brillent sous le ciel austère, et périssent subitement comme les nuages si bas. Des falaises naissent au loin derrière la mer de sable.

Et Olivia tressaille quand le chameau s’enfonce jusqu’au poitrail, et se dégage au mieux.

Elle tourne alors la gourde avec un geste las, et compte les gouttes qui tombent, imprégnant le turban.

Ses forces la quittent lentement, mais elle garde l’espoir qu’elle reverra un jour le jeune homme aux yeux bleus.

À la tombée de la nuit, l’animal stoppe sa marche au pied d’un grand cactus qui l’invite en silence à goûter de ses fruits.

Olivia glisse alors de son dos bosselé, puis se traîne devant l’arbre dont les bras étendus cherchent à toucher le ciel.

Elle se demande soudain pourquoi elle continue, et ce qu’elle va gagner à se mettre en danger au milieu de nulle part :

*Décidément le climat ne sait pas ce qu’il veut ; un coup on gèle, un coup on crève de chaud. Mais peut-être qu’il subit, peut-être qu’il est comme moi. Il subit certainement la force d’un autre poids. Supérieur, invisible que l’on appelle la vie quand on ne la connaît pas. Moi je sais ce qu’elle vaut. Mais ma tête me fait mal ! 

Elle use ses dernières forces, ses dernières volontés, s’approchant du cactus, un canif à la main ; elle effleure la chair verte, évitant les piquants, et plante la lame dedans. Puis elle boit goulûment le jus du fruit amer, et s’effondre lourdement sur le sol du désert. 

 

Le sommeil et le rêve la saisissent en plein vol.

Céleste l’attend aux portes du désert, elle l’encourage un peu, et l’aide à repartir.

La fille voit ses parents près du joli coteau où l’on cultive le chanvre pour produire le papier.

Ils sont là, impuissants, mais fiers de sa capacité à s’ouvrir à ce monde.

Et Olivia slalome gaiement entre les plants.

 

Elle se réveille soudain, dégoulinante de sueur, rongée par l’inquiétude d’avoir dormi la nuit.

La prochaine fois elle s’arrêtera à l’aube, et partira ensuite dans la fraîcheur nocturne.

Mais maintenant, il fait jour, et Olivia a faim.

Elle mange les derniers restes dans l’ombre du chameau, en retenant les cris de son ventre affamé, s’imbibe encore de l’eau, et cède à un sommeil fiévreux, comme à une peur absurde de quitter la maison.

Elle progresse subitement au cœur d’un grand troupeau d’animaux d’espèces différentes.

Puis s’élève dans les airs, voguant près des nuages d’où elle voit mieux la foule, ébahie par le nombre : des millions, des milliards, évoluent d’un même pas.

De beaux Hommes nus les suivent. Libérés de leurs peurs, et le cœur courageux.

*Pourquoi donc si peu d’Hommes ? Demande-t-elle sans savoir, Les autres se croient plus puissants que la nature ?  

Et Olivia, légère, s’élève si haut, qu’elle frôle le coton des nuages, et s’éveille aussitôt.

 

Argul, penché sur elle, la chatouille doucement de sa barbiche en friche.

La fille sourit alors, amusée, et déçue d’avoir quitté ce rêve.

Le soleil est bien haut, mais elle remonte sur le chameau. Il se lève lentement, et s’en va d’un bon pas. 

Olivia tient comme par magie, sans eau à sa portée.

Puis elle tombe, roule soudain dans le creux de la dune où Argul la rejoint pour devenir son ombre.

Olivia s’est perdue. Privée de volonté, elle se rend à sa vie par la force des choses.

 

 

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