Esperanza page 2, LIVRE I

CHAPITRE 8

Le centre d’enseignement 

 

Nous sommes regroupés dans une salle immense, éclairée par des vitres au plafond. Une situation quotidienne. Nous n’écrivons jamais, car les informations doivent être vécues pour être assimilées comme dans la vie courante, et mieux s’inscrire en nous. Tout n’est qu’expérimentation. Ainsi le contenu des séances restera plus longtemps. Selon chacun de nous, que nous ayons une mémoire plus visuelle, auditive, sensitive, émotionnelle, marquée dans le mouvement, dans l’espace ou le temps, nous dessinons, chantons les leçons à apprendre. Certains les dansent, comme moi. Notre corps mime les mots pour aider notre esprit à mieux saisir leur sens.

Ils resteront gravés en nous, si nous les comprenons intérieurement et extérieurement, l’intellect étant seulement la phase finale du processus de compréhension et d’assimilation. Ce dernier enregistre mieux, et à plus long terme, ce qu’il a entendu, touché, vu, ressenti, selon la sensibilité de chacun. D’autres les miment ou les mettent en situation. Tout le monde est motivé, intéressé, touché par ce que nous apprenons. Nous ne sommes pas évalués par rapport à un niveau imposé avec des règles figées. Nous choisissons nos matières, nous choisissons d’apprendre, ainsi c’est un plaisir et une nécessité. Chacun se fixe ses objectifs au début de l’année, et l’intervenant veille seulement à nous les faire atteindre, ensemble et individuellement. Il nous guide, nous soutient, nous rassure, nous donne aussi des pistes pour faire confiance au ressenti, et aiguiser nos sens dans l’improvisation. Tout ça pour arriver à briller par nous-même. Nous sommes évalués par rapport à nos propres capacités et non par rapport à des données aléatoires.

Les moments de détente sont aussi importants que les moments de travail. Pour ces temps libres, le centre d’enseignement nous fournit les meilleurs outils pour pouvoir apprendre par nous-même. Nous pouvons expérimenter à foison : la cuisine, le jardinage, les sports, les arts, les matières plus classique pendant l’autre moitié du temps passé au centre d’enseignement. Nous faisons ce que nous aimons, car c’est ce que l’on peut faire le mieux. Etrangement, comme rien n’est imposé, beaucoup cherchent à expérimenter ce qu’ils peinent le plus à faire, certains s’en sortent d’ailleurs pas mal, ils relèvent les défis.  

Comme la concentration fatigue, elle a besoin d’être affinée, voilà pourquoi le théâtre et la danse sont des séances à part entière.

Le contenu des autres séances est ensuite mieux assimilé.

Nous pouvons nous comprendre et nous aimer si nous sommes investis dans la plus petite fibre de nous-même, car ces points sont liés : comprendre et aimer.

Je sais, je vous répète ce qu’on m’a appris. J’ai parfois du mal à sortir de mon corps pour entrer dans l’intellect et expliquer les choses, mais c’est en le jouant et en le ressentant que je peux mieux le faire par la suite. Et oui, même moi, je peux y arriver.  

    

L’entrée de notre sous-délégué attire soudain notre attention.

Nous nous figeons alors, laissant les mots en plan en attendant qu’il parle :

- Désolé de vous interrompre. C’est seulement pour vous dire qu’après votre dernière séance, vous aurez rendez-vous dans la salle d’expression artistique pour en découvrir une nouvelle. Alors ne ratez pas sa présentation. Bon après-midi à vous. 

Dès le départ du sous-délégué, nous nous regardons tous étonnés en cherchant quelle sera cette mystérieuse séance.

 

Une musique nous indique la fin de la journée, et nous filons dans les couloirs, le cœur battant et le sourire aux lèvres.

Le plafond de la coupole renvoie une drôle d’obscurité au centre de la fleur bâtiment. Il fait déjà nuit, et pourtant c’est l’été. En fait, c’est toujours l’été.

Mon cœur se soulève sous le coup de la peur, quand des battements réguliers se font entendre contre la vitre du plafond. 

Ce n’est rien, c’est juste la pluie que nous n’avons jamais connue.

L’une des rares fois, c’est quand je suis née.

Je m’accroche à la rambarde du balcon circulaire donnant vue sur le spectacle.

La pluie frappe de plus en plus fort et de plus en plus vite, comme si un troupeau de bisons galopait juste au-dessus.

Je reste abasourdie, et parfois affolée, éblouie par moments, quand le rythme est tombé.

Les feux du soleil renvoient une douce lumière brumeuse aux éclats colorés qui se faufile partout. Et la pluie est un chant, une mélodie, à ce moment.

La vie s’est comme figée.

Dans le centre, tout le monde reste agglutiné pour voir le concert de la coupole.

Et quand c’est terminé, une voix me surprend derrière moi :

- Mélisse, t’as un flacon d’Aloé véra ? Ma mère est intéressée. 

La mienne est à la Boliviane, et me donne souvent une dizaine de flacons à distribuer à ceux qui en veulent.

Et il m’en reste rarement le soir :

- Pulpe ou sève ?

- Sève. Ma mère dit que c’est en prévention, elle est sensible des reins. 

Alors je donne le flacon, et nous allons vers l’escalier pour notre mystérieuse destination.

Nous marchons en silence, et sans nous bousculer.

Je songe à l’Aloé véra, nommée la plante miracle, car elle peut tout soigner.

Elle stimule l’énergie qui traverse notre corps et assure la santé, comme une lampe n’éclaire pas sans électricité.

C’est une rare plante à agir vraiment en profondeur, elle couvre 80 % des besoins organiques, et presque rien ne lui résiste.

Un blocage mental, gêne ou stoppe parfois la circulation de l’énergie vitale, provoquant des douleurs physiques ou des troubles émotionnels.

L’énergie dynamisante de la plante agit bien au-delà, écarte le blocage énergétique, causé par le trouble mental, physique, émotionnel, assurant pour un temps une santé exemplaire.

La plante guérit certains cancers et certaines allergies, elle soigne les blessures de la peau, les brûlures, les carences en vitamines, les troubles du sommeil, et j’en passe.

Elle est même utilisée pour l’esthétique. Cléopâtre pourrait d’ailleurs nous en parler.

Bref, c’est la plante dont il faut toujours avoir un flacon sur soi.

Notre groupe glisse harmonieusement d’un étage à l’autre, et arrive vite au rez de chaussée ; les plus hardis soutiennent les autres.

Mon cœur palpite, car je m’attends au pire après tant de bouleversements pour moi en une journée. 

Nous débouchons dans un immense couloir, au bout duquel nous nargue la salle d’expression artistique.

Je tremble soudain de bas en haut, et respire par à coups. Je vais sûrement voir Yoko derrière cette maudite porte, qui semble n’attendre que nous pour livrer ses secrets.

Quand nous passons son pas, le nôtre est stoppé net par une apparition :

une femme de la trentaine au regard pénétrant se tient là au milieu.

Son aura lumineuse me détend subitement.

Son bras balaye l’espace, nous invitant ainsi à aller nous poser sur des bancs contre le mur.

Je le fais sans la quitter des yeux, étonnée par ma subite envie de lui ressembler :        

 - Bonjour ! Je suis la conseillère dramatique de Yoko Takashi. En attendant qu’il arrive pour vous expliquer ses séances, vous allez vous présenter chacun votre tour en disant votre spécialité artistique si vous en avez une.

Mon sang ne fait qu’un tour, quand je réalise être la seule de ce groupe à vraiment aimer danser. C’est un cas assez rare, pourtant c’est arrivé.

Je me ramasse sur moi-même, pouls fracassant contre mes tempes. J’aurais mieux fait de rester couchée !

Chacun se présente. Je sens peu à peu mon appareil respiratoire remonter jusqu’à ma gorge. Je crains de ne plus pouvoir parler.

Puis, quand vient mon tour, je me racle un peu la gorge, avant d’articuler :

- Mélisse Atayo ; je danse.

Alors tombe un léger silence, assez pesant pour moi.

La femme lance un :

- Ah ! Totalement neutre, et en invite un autre à parler.

Je me rends vraiment compte que j’ai flippé pour rien.

Comme Yoko ne vient pas, Céleste Lestu, puisque c’est son nom, nous dit :

- Rendez-vous demain, ici à la même heure. Mais avant de partir, j’aimerais voir le niveau de notre danseuse, Mélisse, si ça ne te dérange pas.

Alors je fais signe que non, toujours là pour danser. C’est d’ailleurs l’une des rares choses qui me branche autant.

Céleste tape dans ses mains, et une musique s’élève.

Des jumbees claquent alors avec une exquise retenue. Les sons transportent mes sens, les notes voyagent en moi.

Et l’émotion m’emmène, les mouvements fluides se font d’eux même.

Mon souffle devient ma voix, le corps s’exprime par lui, il porte le sang, la vie.

Les mouvements jouent les notes, ils font les vibrations, et toutes les symphonies.

Chaque partie de mon corps bouge indépendamment, j’ai conscience de chacune, et les sens m’emporter.

La rythmique a pris corps : un saut, un jet au sol ; mon corps ondule lentement ; mon buste se soulève ; et je tourne la tête  ; mes mains s’appuient par terre, et la musique s’arrête.

Les regards sont sur moi, je peux voir chaque paire d‘yeux pétiller avec joie.

Je les ai emportés dans ma danse avec moi ; je leur ai offert cette performance, et ils me la rendent bien.

Mes muscles sont échauffés, mais je ne peux plus bouger maintenant que c’est terminé. Alors je reste là, et savoure les effets de ces mots silencieux, que je lis finalement dans les yeux de Céleste : du soutien, du respect, de l’amour tout compte fait, ses yeux brillent comme les autres.     

Voilà ma référence.

Les autres partent en silence, me saluent au passage, d’un air impressionné.

 

 CHAPITRE 9

Une séance avec lui

 

Ce matin, je tremble devant l’immense entrée du centre d’enseignement au-dessus de laquelle trônent ces mots d’Albert Einstein : L’imagination est plus importante que le savoir.

Mon cœur tonne sourdement. Je marche fébrilement jusqu’à la pelouse qui s’étend à perte de vue, et plus précisément vers le troupeau, agglutiné autour de la vedette.

Je voudrais qu’il me voie, je voudrais qu’il ne voie que moi.

Il danse, je le devine. Il bouge dans cet espace réduit, à sa disposition. Mais le groupe se déplace imperceptiblement pour le laisser passer, le laisser avancer. Le groupe s’adapte, cède la place alentour, change de forme, de circonférence. Comme à Esperanza, les Hommes s’adaptent à la vie intérieure de cette société, les Hommes n’ont plus peur du changement, comme ces jeunes, ébahis autour de la vedette, ils se laissent porter par leurs aspirations et leurs inspirations. 

Je voudrais qu’il me voie. Je me tiens à l’écart dans le but d’apparaître différente à ses yeux, que les jeunes du troupeau. Je veux qu’il réalise comment et à quel point je m’intéresse à lui. Je ne l’aime pas d’amour, je l’ai réalisé ; je veux lui ressembler.

Il n’a pas de musique sur laquelle s’appuyer, juste celle de son corps, de sa respiration. Il n’a pas d’autre rythme que son rythme intérieur, pas d’autre espace autour que celui qui l’habite.

Etrangement, c’est quand la musique résonne dans la cour qu’il s’arrête de danser. Les jeunes s’écartent alors pour le laisser passer, et c’est là qu’il me voit. Il me regarde attentivement comme s’il lisait en moi, déchiffrait les couleurs de toutes mes émotions, ressentait mon admiration.

Il me sourit soudain avec complicité, et nous rions, comblés :

- A ce soir, mon enfant.

Je bégaye,

- A ce soir.

Et nous en restons là.

Je porte cette scène en moi tout au long de la journée. Elle reste vive à mon esprit comme si je venais de la vivre.

Moi je dois maintenant faire un exposé sur la vie des Soleils. C’est moi qui ai choisi le thème. Je dois le développer à fond, le comprendre pour l’aimer, surtout en le vivant, même si j’ignore encore comment je vais pouvoir le réaliser.

Dans tous les cas, en route pour la délégation !

Là je réalise, horrifiée que je n’ai pas mon téléporteur. Je reste tétanisée.

Il faut que je trouve un moyen d’aller à la délégation. Nous autres, habitants d’Esperanza, ne sommes plus habitués à nous repérer dans l’espace qui nous entoure, à force d’abuser de nos téléporteurs. La ville est comme un labyrinthe, sans fil pour nous aider à trouver le chemin. Je marche, je suis le bâtiment, visible sur ma gauche, c’est tout ce que je peux faire. J’ai peur, j’ai mal au ventre. Plus j’avance, plus j’ai peur. Mes genoux s’entrechoquent quand je m’arrête un peu.

La hauteur est impressionnante, comme une tour de garde immense, insubmersible. L’entrée est gigantesque, le hall est disproportionné, mais les gens restent humbles au cœur de ce décor. Je marche jusqu’à l’accueil : une plateforme arrondie au centre du bâtiment.

 Mélisse Atayo ?

Mon sang ne fait qu’un tour. Je me retourne, et vois Céleste Lestu, souriante, lumineuse, qui m’invite à la suivre d’un léger signe de tête.

En fait, la plateforme est un ascenseur, nous arrivons en un clin d’œil dans une autre grande salle, devant une table ronde et onze personnes autour. Elles m’accueillent en chantant l’hymne d’Esperanza, puis m’invitent à m’assoir, Céleste à mes côtés.

Le conseil des Soleils ou des sous-délégués ! Ils n’ont pas besoin de parler, ils communiquent par la pensée.

 - Tu es là pour un exposé, Annonce l’un d’eux après un temps, Nous devons attendre le délégué. Nous ne pouvons rien faire sans lui, à part peut-être nous chamailler, Plaisante-t-il, adressant un clin d’œil généreux aux autres, qui lui répond par un sourire complice.

Le délégué surgi de nulle part, me regarde, et sourit. Tous les sous-délégués l’admirent avec un respect sans borne. C’est lui, le délégué impartial, tolérant. Lui, l’un des sages qui vivent dans les plaines, que les Soleils envient, et nomment parfois leur maître.

Il lance :

- Les murs n’existent pas ! Qu’ils répètent tous en chœur.

L’un des Soleils se tourne alors vers moi,

- Cela signifie que nous ignorons la peur. De même que les clichés ou les idées reçues, les idées arrêtées.

-  Aujourd’hui nous ferons une séance avec le son pour notre jeune invitée, Annonce le délégué, Pour lui permettre de suivre plus facilement sans nous forcer à répéter, Les autres approuvent, Une autre fois encore, nous lui permettrons d’assister à une séance sans le son pour qu’elle voie ce que c’est.

Ils se tournent tous alors vers moi avec un sourire complice, empreint d’une grande malice.

- Nous allons commencer ! Déclare le délégué, Parlons de la proposition de ce monsieur que nous appellerons X. Voici sa note ici. Je cite : que les autres Soleils puissent voter une décision entre eux sans avoir, en aval ou en amont, les avis des sous-délégués, ni les votes des habitants. En gros, indépendamment de la délégation. Très bien, nous allons délibérer individuellement.

Ce terme me fait sourire.

-  Chaque Soleil ou sous-délégué s’en remet à  l’avis d’entités, extérieures à lui-même, Précise-t-il, D’où le terme à propos de délibération.

J’approuve d’un signe de tête pour montrer que j’ai compris même si c’est loin d’être aussi évident.

Je les trouve lumineux pendant cet instant silencieux ou chacun parait profondément absorbé par ses propres pensées.

- Bien, comme d’habitude, les avis sont unanimes ; seules les raisons divergent un peu, et cela pour la simple et bonne raison que nous nous adressons à des entités différentes qui tiennent toutes leur avis d’une seule et unique source que nous connaissons bien, mais comme il nous plaît de le répéter : douze avis valent mieux qu’un ! Pour notre jeune invitée, je propose à chacun de donner son avis et la raison de ce choix qui ne nous appartient pas. 

Tous les Soleils approuvent. Commence alors la ronde des sous-délégués.

 -Non, car cela perturberait une certaine forme de hiérarchie établie.

-Non, car l’ordre en serait troublé.

-Non, car tous les Soleils seraient en un sens sous-délégué et parleraient au nom de la communauté sans avoir été choisis comme nous autres à l’unanimité pour remplir ces fonctions. Les références en seraient faussées.

 -Non, car le chao pourrait en résulter. 

-Non, car nous avons été choisis pour notre complémentarité et pour représenter l’avis de la majorité.

-Non, si les décisions en question doivent affecter plus d’une seule personne à la fois.

-Non, car certains prétendent être des Soleils alors qu’ils ne le sont pas. 

-Non, car si un certain nombre de décisions étaient prises sans l’avis des habitants, notre rôle n’aurait plus lieu d’exister. Chacun agirait à sa guise au risque d’affecter, d’empiéter sur la vie des autres. Ce ne serait très vite plus gérable.

 

 -Non, car certains ont des soifs de pouvoir qu’ils ne peuvent maîtriser, et risquent d’en abuser.

-Non, car la force d’Esperanza réside essentiellement dans cette notion de transparence, établie entre les membres de la communauté. Si ce lien est coupé, la confiance pourrait décliner.

-Non, car nous reviendrions à cette bonne vieille engeance : diviser pour règner.

Céleste clôt la ronde en se tournant vers moi :

-Non, car les Soleils ont trop d’influence auprès de la population, et cela peut tenter une personne mal intentionnée qui prétendrait être Soleil pour en user.

-Très bien, Conclut le délégué, Nous diffuserons chacune de ces raisons à l’intention des habitants avant qu’ils puissent voter. Et si malgré tout, ils votent oui en majorité, la proposition sera appliquée en connaissance de cause. Entre nous, ce genre de situation arrivait plus volontiers au début de la mise en place de ce système. Maintenant, les habitants, à force d’erreurs commises ont pris l’habitude de se caler sur nos avis. Ils trouvent cela plus sûr et sage, et sont presque toujours unanimes comme nous le sommes nous-même. Le sujet pourra être revisité s’ils le jugent utile. Nous sommes là pour les protéger, nos décisions vont dans ce sens. Ils le savent bien et le comprennent. Voilà pourquoi nous existons, parce qu’ils nous font confiance. Même si nous refusons certaines propositions, le fait de donner des raisons, adaptées à chacun peut leur permettre de réfléchir dessus, d’approfondir les idées qu’ils ont eues, jusqu’à pouvoir les réaliser un jour, même sous une autre forme et améliorer ainsi la vie de la communauté. C’est notre pain quotidien d’étudier ces messages, tous postés d’une semaine à l’autre. Nous les tirons au sort, étudions le plus de propositions possible en début de semaine, et les notes négatives sont vite éliminées. A force, il n’y en a plus, leurs auteurs ne jugent plus utile de les poster, sachant qu’elles seront ignorées. Ensuite, nous évaluons à peu près combien de temps serait utile à une proposition pour s’implanter et faire ses preuves. Le temps sera variable selon chacune d’entre elles. Le fait d’approuver une proposition ne nous empêchera pas d’en poster les raisons à la population, au contraire. Parfois les habitants font des propositions groupées, ce que nous approuvons et encourageons, car ça n’a rien à voir avec le fait de vouloir imposer ses décisions aux autres sans les consulter, c’est même tout le contraire. Tout ce qui passe par nous, de positif, sera connu de tous : c’est une règle et une condition.

Je les admire silencieusement. C’était notre dernière proposition de la semaine, Assure Céleste en se tournant vers moi, Maintenant nous allons sur le terrain, voir si les autres tiennent la route, celles qui sont déjà mises en place, mais avant ça, viens avec moi !

-Les murs n’existent pas ! Déclare le délégué comme pour clore la séance.

-Les murs n’existent pas ! Répètent-ils avec moi.

Le délégué s’efface de cette réalité, et moi aussi, je disparais.

-Ce n’est rien, Mélisse, ne t’en fais pas, Dit Céleste en tenant mon bras.

-Il n’avait pas de téléporteur !! Comment a-t-il fait ça ??!

-Ne t’inquiète pas, tu sauras. Pour l’instant, viens avec le mien, visiter les locaux de la délégation.

Je respire mieux tout à coup, mais arrive dans une salle tellement grande qu’elle me coupe le souffle. J’en vois à peine le bout ! Au centre, un petit jardin, avec une belle fontaine, des fenêtres au-dessus, sur le toit arrondi.

-Pourquoi est-elle si grande à ton avis ? Demande malicieusement Céleste, c’est pour faire rager Ceausescu ?  

Quand je peux enfin parler, je risque,

-Ce serait trop facile.

C’est vrai que les Soleils évoquent toujours les morts comme s’ils étaient là.

-C’est vrai ! Reconnait-elle avec une extrême légèreté, Alors, pourquoi ? Une idée ? Même très vague ?

Je prends le temps de sonder les possibilités, puis fais non de la tête, penaude.

-Cette salle a été étudiée pour contenir toute la population terrestre. L’humanité, insiste-t-elle, me voyant hésiter. Cela fait très longtemps que ce n’est pas arrivé, mais elle accueille des meetings ou des réunions pour parler des propositions. Des élèves entretiennent sa végétation.

-Voilà pourquoi la population ne doit pas augmenter ?

-Oui, ce serait une bonne raison, Confirme-t-elle, amusée, mais ce n’est pas la seule. C’est surtout une question de bien être et d’équilibre entre les différents règnes de la nature. Viens, je vais te ramener au centre d’enseignement, tu as eu assez d’émotion pour aujourd’hui.                                                       

Elle me reprend le bras, et nous disparaissons.

Nous arrivons pas loin du centre, dans un joli parc fleuri, vêtu de plusieurs sortes de plantes qui donnent un tableau coloré. Les pelouses sont bien entretenues, il n’y a aucun déchet par terre, même pas un fil qui traîne :

- Tu sais Mélisse, je t’ai reconnue tout de suite, m’annonce-t-elle avant de repartir : alors c’était elle, la fille de ma vision, celle qui dansait sans bruit sous la pluie de sa vie. Je dois t’accompagner sur un bout de chemin.

J’approuve, je suis d’accord, j’ai la même impression.

Nous traversons la rue à la sortie du parc.

Céleste me salue, puis s’efface de ma vue.

Une séance avec lui !

 

 

CHAPITRE 10

Une lueur dans la nuit


Je marche la nuit dans les rues d’Esperanza et je n’ai pas peur. La nuit est tombée depuis un bon moment. Je marche seule en souriant. Rien ne me retient ce soir, rien ne m’attend.

J’entends parfois le son creux des rollers, résonner quand ils passent près de moi.

Moi j’avance tranquillement dans le silence souvent dense de cette obscurité.

Je marche sans sursauter, rêvant à l’amitié, au don de soi et au support des autres. Tout est si harmonieux dans et autour de moi !

Quand j’entends des jeunes rigoler.

L’un d’eux se retourne sur moi :

- Céleste Lestu ?! ça par exemple !!

C’est un garçon du centre d’enseignement où j’anime parfois des séances.

-Viens avec nous ! Ce soir nous allons à une fête, à un anniversaire ! Ce serait cool que tu viennes !!

Je les suis sans hésiter, excitée par l’invitation.

La ville est lumineuse. Nous chantons dans les rues, des passants reprennent le couplet. Certains dansent avec nous, puis filent sur leur chemin. D’autres accompagnent nos voix, perchés à leur balcon.

Les habits colorés, les chansons fredonnées, tout prend des airs de fête.

Nous approchons d’un immeuble au bout d’une avenue. Nous entrons dans le hall, éclairé par des poutres luminescentes, nous prenons l’ascenseur, poli : bonjour, au-revoir, merci.

Arrivés sous les combles, nous attendons que l’on vienne nous ouvrir, après avoir sonnés à la porte, indiquant le nom d’Edno Molino.

Il paraît très surpris :

- Alors, on peut entrer ? Demande l’un des garçons en le voyant figé.

- heu oui, bégaye Edno, reprenant ses esprits :

- Nous nous sommes permis de l’inviter, Enchaîne le garçon en me désignant. 

- C’est très bien ! C’est une bonne idée !  

Nous entrons dans un long couloir. Edno nous propose de poser nos affaires dans une pièce. Les garçons lui tendent des bouteilles qu’ils lui ont apportés, puis nous allons dans une grande salle, éclairée le jour par une baie vitrée.

Nous rejoignons une foule de jeunes déjà là depuis un moment.

Dispatchés ça et là, certains jouent du jumbee, d’autres parlent ou m’invitent à me joindre à eux, en cercle sur un tapis coloré, ce que je fais, comblée.

La porte fenêtre est entrouverte pour laisser entrer l’air chaud et doux de la nuit.

Une boisson circule de mains en mains comme un calumet de la paix sous forme de gelée verte.

Je la tiens bien serrée, quand elle me glisse des mains, et se mêle aux cheveux verts de ma voisine de droite.

Les cheveux teintés sont à la mode : mon voisin les a bleu, les miens sont coquelicot.

Des rires s’élèvent pour saluer ma voisine et sa nouvelle perruque.

Mais je me sens mal à l’aise :

- C’est rien, lance-t-elle, souriante, j’ai l’habitude de me prendre un bonnet de goyave sur la tête ! 

Je ris avec les autres.

L’ambiance est adoucie par quelques lampes à sel. Des bougies crépitent ça et là, et un bâton d’encens répand de la citronnelle pour chasser les moustiques et purifier les lieux.

Je remarque Mélisse qui parle avec Edno. Je la vois flotter dans le bleu, alors qu’Edno est enveloppé de rose. Il l’aime et elle lui parle selon les énergies qui composent leur aura. C’est du moins ce que je peux voir.

Je suis invitée à chanter, à danser, à m’enivrer de rencontres. Ils ne demandent rien d’autre ici, ils font la fête comme ça. Leur cadeau est leur seule présence ou ce qu’ils font de mieux : un gâteau, une chanson, un mime ou un vêtement, Edno s’en satisfait pleinement. Il n’a pas d’autre exigence que le meilleur de chacun. La musique ou les discussions se poursuivent jusqu’au bout de la nuit.

Je réponds aux questions concernant mon travail, le théâtre, ma passion.

Qu’est-ce-que tu imagines ? Le théâtre est un don de soi qui surpasse tout ce que l’on peut croire. Ce n’est pas seulement un jeu, c’est aussi un travail, une rigueur, une technique. Il faut se donner à fond, pas de semie mesure si l’on veut être crédible. Il faut tout bousculer au-delà des croyances, au-delà des clivages et être ouvert à tout, ne surtout pas se juger soi ou son personnage. Etre intègre, être vrai pour mieux jouer le faux. Il faut tout tolérer, comprendre, analyser et juger par son cœur qui ne se trompe jamais. Etre vrai, spontané, être ce que l’on ressent, et pas ce que l’on sait. Se laisser entraîner dans une vie étrangère et expérimenter une foule d’autres existences pour découvrir la sienne, celle qui nous correspond, qui nous fait le plus envie.

Edno sourit de cette déclaration, il voudrait essayer de devenir quelqu’un d’autre et peut-être se trouver.   

La nuit s’avance lentement.

Une chanson s’élève pour fêter les beaux jours et les amis d’Edno, et lui donner la force d’avancer dans sa vie.

Mélisse chante avec moi, accrochée à son bras. Nous partageons ensemble ce moment délicieux.

Edno est si ému ! Il dit d’une voix tremblante des anecdotes marquantes, et nous invite ensuite à chanter à nouveau.

Puis lui vient une idée :

- Céleste, lance-t-il gêné, si tu es un Soleil, tu peux t’interposer entre nous et notre destin. Demander pourquoi nous sommes nés, et ce que nous devons accomplir dans cette vie ? 

J’approuve, avant de convier les jeunes à rassembler des lettres sur un bout de papier avec un verre dessus. Et comme ils sont rapides, tout est prêt en moins de deux.     

 Nous nous posons autour, nous concentrons ensuite, l’index sur le verre, car le fluide d’énergie donnera vie aux objets en passant par nos doigts.

Edno pose sa question :

- Esprit, es-tu là ?  Alors je rectifie.

- Guide, es-tu là ?ça évite les entourloupes. 

Il est déconcerté un temps, puis reprend plus bas :

- Guide, es-tu là ? 

Une lumière vive s’active alors, et élève notre esprit dans une autre dimension, quand ils apparaissent tous.

Leur ombre lumineuse se poste derrière chacun, comme une protection, mais Edno s’impatiente, car il ne les voit pas :  

- Guide, es-tu là ?? 

Des rires fusent de partout, illuminant la pièce comme des feux d’artifice.

Et ils répondent :

NON, en se servant des lettres, par le fluide de nos doigts.

Ça laisse Edno pantois, il ne sait plus quoi faire.

Mais je le rassure au mieux :

- Ne t’en fais pas, oui, ils sont là, ils ont de l’humour, ces guides-là. Vas-y, pose ta question. 

- Pourquoi suis-je né ? Pourquoi chacun est né ?

Le silence tombe alors, puis une réponse s’inscrit peu à peu dans les lettres :

« Chacun a ses raisons. Vous devez découvrir que vous savez déjà et que l’amour est tout. »

Mélisse sursaute de voir qu’elle est là pour aimer et apprendre à le faire pendant qu’Edno revient à sa première idée : 

- Pourquoi chacun de nous est venu vivre sur terre ou plutôt galérer ?  

Le silence s’éternise le temps de la réponse.

Chacun est allégé en découvrant le but de sa destinée.

La vie est tellement simple si on la voit ainsi ! Alors pourquoi se la compliquer ? Sûrement pour apprécier quand elle nous porte enfin sur ses ailes, délestées.

Mélisse pâlit soudain, car elle ignore encore pourquoi elle vit :

 « Pour l’enfant du changement », mais elle ne comprend pas, et me regarde, ennuyée.

Moi je hausse les épaules :

« Tu sauras assez tôt, la vie te le dira. »

Puis nous considérons le lever du soleil par la grande baie vitrée, quand il nous jette ces feux furtifs, intimidés.

Les jeunes autour de nous se sont tous endormis.

 

  

Deuxième partie

 

 

« Oublier qui nous sommes réellement, c’est cela la véritable mort ! »

Barbara Ann Brennan.

 

 

 

CHAPITRE 11

L’appel de la mousson

 

Les filles laissent un moment Esperanza, elles se téléportent sur une colline d’où elles admirent l’horizon au lointain.

Le vent leur souffle des secrets, comme elles regardent les cultures, les maisons, les forêts.

Au doux contact de leurs mains, Mélisse glisse sur le sol avec agilité. Suivant les courbes de l’air, et le rythme entêtant du chant d’une foule d’oiseaux, elle disparaît bientôt, cachée par les hautes herbes.

Céleste la rejoint. Elle fixe longtemps la main petite et potelée, qui se livre à sa vue entre les tiges espacées.

Allongées sur le dos, elles savourent leurs pensées :

* Je suis bien avec toi ! Commente la plus jeune, Je ne veux pas te quitter.

* C’est cool ! Reconnaît l’autre, avant de se lever :  

 - Ne t’en fais pas, Mélisse, dit-elle en contemplant le ciel gris, ténébreux, tu sauras qui tu es, et aussi le mystère de l’enfant du changement.

La fille s’assoit bien vite, et lance :

- J’aimerais tellement savoir, j’ai assez attendu !

- Patiente encore un peu. Dit Céleste, immobile.

Mélisse se lève, la rejoint, et lui saisit la main, la secouant un peu pour ponctuer ses paroles.

- Mais je ne peux pas ! Je veux enfin savoir quoi faire, dire ou penser ?

Fixant toujours le ciel, Céleste plisse les yeux.

- Qu’est-ce que tu sens que tu dois faire ? Elle se tourne vers Mélisse ; la dévisage si bien que la fille lâche sa main et se recule un peu, avant de baisser les yeux, Qu’est-ce que tu sens que tu veux ?

Mélisse réfléchit, puis lance sans la regarder.

- Je veux être Soleil comme toi. Je dois être comme toi ! Elle la regarde soudain, C’est ça ce que je dois ? !

- Si tu le sens, c’est comme ça, Répond alors Céleste, scrutant le message des nuages au loin.  

- Mais qu’est-ce que je dois faire pour devenir Soleil comme toi ? !

Céleste la considère ; elle sent son désarroi. Puis l’invite à s’asseoir sur des rochers plus loin. 

- Que sens-tu que tu doives faire ? Il faut toujours raisonner comme ça. La vie ne nous trompe pas, si on le sent, c’est comme ça.

Mélisse hésite, visiblement, elle cherche.

- Je dois faire tout ce que tu me diras.

Céleste hoche gravement la tête.

- Voilà un bon début.

Le vent se lève plus fort, présageant une tempête.

- Mais c’est qui cet enfant du changement ? ! Lance Mélisse, l’air désespéré.

Céleste pose son index sur la bouche de la fille, et annonce d’un ton mystérieux.

- Ne mets pas l’autoporteur avant le téléporteur, d’abord tu dois changer pour créer le changement.

- Ce sera mon enfant ?

- Les choses viennent en leur temps.

Comme le climat se déchaîne, elle invite doucement Mélisse à se lever, et elles se téléportent chez elles.     

 

CHAPITRE 12

La renaissance 

 

Le jour vient de se lever sur le toit de l’église où Mélisse ouvre les yeux, comme si elle revenait d’un voyage merveilleux.

Son corps semble enfoncé dans les pierres du monument, mais elle se sent légère ou déconditionnée.

Elle fixe un long moment les longues rangées de tuiles sans ressentir l’envie de bouger, et se dit :

* Je peux tout recommencer, me voilà neuve. 

C’est vrai.

Céleste sourit à ses côtés en lisant ses pensées.

Elle l’a magnétisée. Et ce n’est pas grand-chose, à part servir de lien entre les autres et l’univers dont la force peut tout soigner.

Elle a posé ses mains au-dessus du corps de la jeune fille, sans la toucher.

Elle a demandé à nettoyer ses énergies en les stimulant de bas en haut, et en croyant très fort au résultat.

Elle a ensuite visualisé la guérison pour chaque fibre de l’être. Et la guérison s’est faite ou plutôt, a pu se faire, car le fluide bénéfique de l’univers a pu circuler à travers les centres d’énergie colorés de l’intermédiaire.

Par le blanc de la couronne au sommet de la tête, par l’indigo du front et le bleu de la gorge, et par le vert du cœur, avant de passer par les bras, les mains, de changer tous les maux en énergies positives rosées, et de les renvoyer dans l’univers.

Ainsi Céleste est fière d’être un vrai centre d’épuration.

Mélisse ouvre les yeux, et lève bien vite le bras pour les protèger des rayons du soleil.

Au bout d’un long moment, elle saute sur ses pieds nus, et hurle subitement :

- Merci l’univers !!!

Quand des voix lumineuses lui répondent de partout :

- De rien !!!! Mélisse saute à pieds joints pour rejoindre Céleste, et elles explosent de rire, perchées au-dessus des toits :

- Je les ai entendus, je les ai entendus !!! Chantonne la jeune fille, Ce sont nos anges, mes anges, mes guides !!! 

C’est vrai, ce sont bien eux, et comme elle croit en eux, elle les fait exister.    

 


 CHAPITRE 13

Un cyclope y perdrait son grec !

 

C’est un jour de vacances comme les autres.

Les jeunes profitent de leur téléporteur pour visiter des vestiges aux quatre coins du monde. Ils sont tous en vadrouille à courir de partout.

Tous, sauf une :

- Mélisse, qu’est-ce que tu fais là-dedans ? ! 

On peut se le demander, d’autant que les toilettes sèches, pour les odeurs, ce n’est pas le pied.

C’est sans doute mieux en appartement où le conduit file tout droit jusqu’à un container en bas qui réceptionne les offrandes, la sciure de bois et le papier très fin sans colorant.

Cet engrais est ensuite expédié à la Boliviane et dans d’autres cultures.

Rien ne se perd, donc, mais je m’égare un peu.

De toutes façons, Mélisse ne remarque rien. Elle est trop concentrée quelque part où la mauvaise odeur fait sans cesse concurrence à l’essence de lavande sur le bord de la fenêtre.

Immobile, le dos droit, elle se racle le fond de la gorge en visualisant une énergie qui remonte jusqu’au milieu du front pour stimuler un point.

Et elle doit sans cesse doser entre, comprimer l’air par son diaphragme, et ouvrir grand la bouche pour avoir une expiration gutturale, mais sans le faire trop fort, ni trop longtemps d’un coup.

La visualisation est quand même une meilleure méthode, ne risquant pas de couper larespiration.

Hélas, certains connaissent trop bien cette laborieuse respiration, subie malgré eux lors de crises qui gênent souvent les sportifs, et gâchent la vie de tous : l’asthme, la spasmophilie.

Mais si Mélisse s’inflige ce que d’autres se passeraient de subir, c’est que cette respiration, si elle arrive jusqu’au cerveau, stimule 2 glandes aux fonctions mal connues : l’hypophyse et l’épiphyse, utiles pour favoriser l’ouverture d’un sens, que l’on nomme le sixième, quand on ignore qu’il représente l’ensemble desautres à leur point culminant.

Mélisse est excitée de stimuler ce point, car à mesure qu’elle le fait, elle sent une consistance augmenter dans sa tête, une impression étrange de lourdeur presque opaque.

La tête lui tourne un peu, à force d’aller flirter avec d’autres dimensions spatio-temporelles auxquelles elle n’est pas habituée.  

L’organisme doit s’adapter à une nouvelle perception des choses et du monde, comme pour un décollage en fusée.

Mélisse devine qu’elle ne doit pas en abuser, et s’arrête pour souffler.

Elle se lève, tangue un peu, et sort des toilettes sèches, pour filer dans sa chambre.

C’est un vrai parcours du combattant pour devenir Soleil ; il faut s’ouvrir au monde, à l’univers afin de servir de lien entre lui et les êtres.    

 

 

 CHAPITRE 14

Légère comme une plume


Mélisse s’assoit ensuite sur le sol de sa chambre, et se concentre encore pour une chose étonnante, étant donnée sa nature remuante : c’est la méditation.

Sans sa motivation pour devenir Soleil, elle ne le ferait pas.

Elle essaye, comme elle dit, de sortir de son corps, en vidant son esprit des pensées superflues.

L’expire la vide des maux, et l’inspire la remplit de choses plus agréables.

Mélisse distingue une force qui la porte à chaque souffle un peu plus vers le haut.

Elle souffle et file comme un coureur cycliste avec une impression étrange de se trouver en équilibre sur un support immense :

- Mélisse, qu’est-ce que tu fais là-haut ? ! ! Entend-elle au dessous.

C’est la voix de sa mère.

Elle réalise alors peu à peu dans le vague :

* C’est étrange.

Mais garde les yeux fermés, par peur de s’affoler de ce qu’elle pourrait voir, et de tomber :

- Mélisse, Reprend la voix lointaine, quelqu’un est là pour toi, et je crois qu’elle tombe bien, si je peux le dire comme ça.

- Tu le peux, en effet, Dit Céleste en riant.

Cette dernière se concentre, avant de se jucher auprès de sa protégée.

Elle lui prend doucement la main, et l’interroge par la pensée, sous le regard médusé de la mère, affolée et fascinée :

*Tu veux descendre ? Demande-t-elle d’un air détaché.

* Non, non et non !!! Je ne descendrai pas !!! Grogne Mélisse mentalement.

Mais ces lourdes pensées la font un peu tomber :

*Tu veux de l’aide, note Céleste, amusée par la chute.

*Heu, oui, Hésite la fille, dans le vague de son esprit.

*Alors visualise un poids qui te pousse vers le bas.    

Les 2 filles visualisent.

Et Mélisse redescend, parfois avec secousses ou bien progressivement.

Quand elle touche enfin le sol, sa mère se précipite, et la serre dans ses bras :

 - Je l’ai fait !!! Je l’ai fait !!! Hurle Mélisse.

- Ta mère est fière de toi, décrypte Céleste dans les yeux bleus mouillés, précieusement dérobés à la vue de sa fille.

- Mais qu’est-ce que c’est ? Demande la mère après avoir séché ses larmes, Tu portes l’œil du tigre, la pierre de la confiance, alors je comprends mieux. 

Elles se regardent, et explosent de rire.

 

 

CHAPITRE 15

L’autofooting surprend toujours au début

 

Les deux filles se dressent sur le toit de leur église préférée, et elles admirent le paysage qui s’étend au lointain, le secteur propre, ses capteurs colorés, ses éoliennes au loin, la vie qui s’écoule au dessous. Les habitants d’Esperanza vont, viennent et disparaissent entre les batiments colorés.

Elles rêvent de s’envoler vers une autre contrée.

Mélisse ferme les yeux. Elle voudrait être ailleurs.

Elle se voit décoller, quand elle entend la voix de Céleste résonner dans sa tête.

*Il est possible de quitter les limites de son corps. De le laisser se reposer quelque part en sécurité et d’aller voyager ailleurs loin de lui. Veux-tu essayer ?

Mélisse fait signe que oui, sans réfléchir, comme ça.

*La réflexion est un poison dans certains cas, Enchaine Céleste par la pensée, en l’invitant à s’allonger, N’aie pas peur et suis-moi ; tout au moins, suis ma voix.

Mélisse s’exécute hardiment. Elle s’allonge sur les tuiles colorées du toit. Se laisse porter par la voix profonde de Céleste qui l’encourage à se détendre et à se détacher de ses motivations terrestres. Empreinte de légèreté, elle finit lentement par se laisser contaminer. Très vite dans un état second, étrange et indéterminé proche de la transe, Mélisse ouvre les yeux sur une invitation de son aînée, patiente à ses côtés et peut voir son corps allongé :

*Tu n’es pas morte, mon amie, rassure-toi. C’est un état proche du sommeil. Tu es en somme hypnotisée, mais juste hors de ton corps. Viens par ici, suis-moi.

Céleste désigne son propre corps allongé à côté du sien.

*Laissons-nous reposer, et allons faire un tour.  

Mélisse sourit à cette idée, et ne se fait pas prier.

*Viens, approche-toi du bord. Ne crains rien, tu n’as pas de corps, il ne peut donc rien t’arriver.

Etrangement, Mélisse se laisse prendre par cette explication.

*Seules tes idées, tes craintes, tes croyances peuvent régir ta vie à présent, comme avant, mais concrètement. Ce que tu vois et veux, devient vrai illico, il n’y a plus de limite. Tu peux vraiment tout faire, donc fais-le ! Vole et va comme moi !

Mélisse est ahurie quand elle voit Céleste se pencher dangereusement sur le rebord du toit.

*Tu peux voler dans les nuages, flirter avec le ciel et suivre les oiseaux,

Céleste fait un pas dans le vide et reste suspendue, Il y a un pont ici, alors crois, il existera.

D’une main tremblante, incertaine, Mélisse saisit celle que Céleste lui tend.

*Il y a un pont, je te dis, même s’il est invisible, et ce pont, c’est la foi.

Mélisse lève une jambe flageolante sur le vide, ferme les yeux, effrayée.

*Crois ! Insiste Céleste d’une pensée tellement sûre et alerte que Mélisse le fait.

Elle croit, et flotte soudain, légère à ses côtés, et peu à peu sereine, délivrée de ses craintes, de ses idées reçues, de tout ce qu’elle croyait fermement intégré, elle se laisse entraîner, flotte à travers le ciel, vogue avec les nuages, vole avec les oiseaux, et disparait soudain, emportée par une Céleste euphorique !

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :